Pôles, le magazine par Grand Nord Grand Large

Ma planète Antarctique

Stéphane Niveau
Ma planète Antarctique

Imaginé dès l’antiquité grecque, l’Antarctique a été le dernier des cinq continents à être découvert en 1819. Stéphane Niveau, guide naturaliste et expert Grand Nord Grand Large, s’y rend régulièrement. Sa passion est débordante. Il raconte cette péninsule hors normes.

La saison des expéditions en Antarctique débute dans quelques semaines. En tant que guide naturaliste polaire, le changement de saison est une période d'exaltation. Cap au Sud, enfin ! Mes pensées naturalistes se tournent vers le continent austral même si pour être honnête, elles ne s'en sont pas véritablement échappées depuis mon dernier voyage. Comme le disait le commandant Jean-Baptiste Charcot : "D'où vient cette étrange attirance de ces régions polaires, si puissantes, si tenace, qu'après en être revenu on oublie les fatigues morales et physiques pour ne songer qu'à retourner vers elles ? D'où vient le charme inouï de ces contrées pourtant désertes et terrifiantes ?"

Je ne l'ai véritablement compris que lorsque j'ai posé pour la première fois le pied sur la péninsule Antarctique. Le voyage depuis Paris évoque déjà l'exploration, une introduction progressive au changement pour les yeux et l'esprit.

Premier stop à Buenos Aires, puis Ushuaïa, ce nom mythique de ma jeunesse où je rêvais d'aventures lointaines devant le téléviseur familial.

Reste à prendre possession de ma cabine à bord du navire qui va nous mener le long du canal de Beagle, la cordillère Darwin dans le dos, le cap Horn sur notre tribord. Trente-six heures plus tard, une blancheur sur la ligne d'horizon face à la proue du navire annonce une métamorphose. Je suis aux portes d'une autre planète.

Des manchots empereurs et leurs petits ©Adobe Stock

Une faune omniprésente

Vague après vague, la nature devient omniprésente, en mer, à terre ou dans le ciel. En débarquant sur une plage de sable noir d'origine volcanique, je remarque qu'à chaque vague, du krill et des méduses viennent s'échouer. Occupé à regarder mes pieds, j'entends à une centaine de mètre du rivage, un souffle, une respiration. Une baleine à bosse sort sa tête, gueule ouverte, et ingurgite ses deux tonnes de krill quotidiennes. À une centaine de mètres sur ma gauche, mon regard est attiré par une colonie d'éléphants de mer. Au-dessus de mon bonnet passent des pétrels géants. Je sors de ma stupéfaction pour échapper aux vagues et mes bottes bousculent des cailloux. Sous mes pas, des centaines et des centaines de fossiles de cyprès, d'araucarias ou encore de ginkgos.

Le voyage ne fait que commencer et mes réflexes de guide naturaliste sont sollicités à chaque instant. Il faut à la fois regarder au-dessus mais aussi autour du navire pour observer le vol des oiseaux australs. En mer, ce sont les orques que je guette, mais c'est quand je ne peux détacher mon regard du souffle du rorqual à museau pointu que se montre à bâbord un rorqual commun. Avec ses 25 mètres de long et ses 90 tonnes, il est le second plus grand animal du monde, après la baleine bleue.

En observant un chionis blanc survoler le pont, seul oiseau nicheur de l'Antarctique et pour cause, mon regard se pose sur un autre blanc : celui d'un iceberg.

Deux tours de glace d'une vingtaine de mètres de hauteur sont soudées par une plage de glace où les vagues viennent s'écraser. Des points noirs la maquillent. Je règle mes jumelles, indispensables pour profiter des lieux, et je découvre une trentaine de manchot Adélie. Ils portent le prénom de la femme de l'explorateur Jules Dumont d'Urville. Plus tard, en fin d'après-midi, ce sont les manchots à jugulaire qui se laissent approcher. Une fine ligne noire se dessine sur leur menton.

Les icebergs sont en nombre autour de la péninsule Antarctique ©Florian Ledoux

Retour sur Terre

Il est toujours étonnant de voir comment la vie a su dépasser les contraintes climatiques. Ce continent entièrement glacé est pourtant l'endroit le plus sec, le plus froid, le plus venteux du monde. On recense moins d'espèces qu'ailleurs. La pression sélective du milieu antarctique a forcé les organismes à acquérir différents types d'adaptations physiologiques, anatomiques et comportementales. Tout ici le démontre. Alors que je suis en pleine réflexion, une sterne arctique plonge pour se nourrir. Cet oiseau fréquente les deux pôles pour voir le soleil toute l'année. La sterne détient le record des migrations les plus longues avec près de 90 000 kilomètres par an. En une vie, elle parcourt 2,4 millions de kilomètres, soit l'équivalent de trois allers-retours entre la planète Antarctique et la Lune.

Tous ces instants, loin de tout, donnent une autre dimension au temps. Après quelques jours, il faut repartir. Alors je quitte la planète Antarctique pour revenir sur Terre.

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