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Été sauvage en Laponie

Henri Bourgeois-Costa
Été sauvage en Laponie

Parcourir la forêt infinie parsemée de milliers de lacs, sentir le parfum des pins, écouter un silence que rien ne trouble, caresser les tapis de mousse, goûter aux fruits de la taïga, rencontrer les derniers éleveurs de rennes…

La Laponie pendant l'été arctique, c'est une immersion dans la « wilderness », une nature originelle dont on revient ressourcé.

Dans nos paysages européens profondément marqués par l'être humain, rares sont les territoires de nature sauvage. Plus rares encore ceux qui peuvent prétendre offrir l'expérience de la wilderness. Ce mot nord-américain n'a pas d'équivalent en français. C'est au XIXe siècle, sous l'influence des écrivains racontant leur immersion dans les immensités sauvages de l'Ouest et de l'Alaska que le mot s'est chargé de ses dimensions philosophique, anthropologique et même politique.

Avec des auteurs comme Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, John Muir ou, plus proches de nous, Edward Abbey et Barry Lopez, la nature vierge devenait une nécessité pour l'équilibre psychique et physique de l'homme. La parcourir se transformait en « une expérience mystique de l'existence » et la protéger devenait un devoir moral.

Depuis, les études menées par les spécialistes du cerveau et les psychologues ont largement démontré les bienfaits de cette nature sauvage et intouchée sur notre santé. Parcourir la Laponie durant l'été arctique est sans conteste, pour nous Européens, la meilleure possibilité de renouer ces liens avec la Terre, d'expérimenter un retour à la wilderness.

Embarquer à bord d'un canoë pour descendre la rivière Muonio - ©Henri-Bourgeois Costa

Marche silencieuse dans la forêt

Nous sommes à plus de 69° de latitude nord, dans la taïga. Dans les pas de notre guide lapon, nous pénétrons dans la forêt de pins et d'épicéas que ponctuent quelques bouleaux. Ici, pas d'itinéraire balisé, pas de traces humaines. Rien que les discrètes sentes des animaux sauvages. Nous nous laissons envahir par l'instant présent, par la douce sensation de flottement qu'offre la marche sur ce sol couvert d'un tapis dense de lichens qui absorbe nos pas. Tout à cette marche silencieuse, nous profitons du concert des oiseaux, nombreux durant l'été arctique. Mésanges, bouvreuils, gobe-mouches inondent l'air de leurs trilles. Le tambourinement d'un pic marque le rythme de ce concert permanent.

Nos sens s'éveillent, notre regard s'aiguise, à la recherche des traces des grands mammifères qui habitent la forêt. Nos yeux s'arrêtent sur ces traces de griffures sur un tronc, témoignage d'un passage récent. La rencontre avec le loup, le lynx, le glouton ou l'ours reste improbable. Mais leur seule présence offre à ces lieux un ineffable supplément d'âme. Le paysage change peu à peu. La végétation se fait plus riche. L'odeur citronnée du lédon des marais se mêle à celle, acide, des saules et annonce une zone humide ou une rivière. C'est la Muonio, un des cours d'eau majeurs de Laponie. Embarquement à bord d'un canoë pour une journée de descente au rythme serein de la pagaie. L'horizon se découvre et offre un panorama sur les tunturis, ces sommets arrondis par les anciennes glaciations. Notre corps poursuit sa remise en mouvement. Après les muscles des jambes éveillés par la marche, nous sentons nos épaules, nos dorsaux se mobiliser en douceur. 

L'été, les forêts lapones s'animent de l'activité des oiseaux - ©Henri Bourgeois-Costa

Le rituel du feu en pleine nature

Ne pas brusquer le geste, être simplement dans le plaisir du moment, de cette progression presque au rythme de l'eau pour mieux savourer les mille et un détails des berges. Ces petites falaises de sable érodées et qui se parent de teintes ocre, les nuances argentées du feuillage des saules, l'agitation des branches des trembles par la moindre brise, le reflet de ce ciel pommelé dans les eaux miroir de la Muonio. Et puis là, cette silhouette massive. Quatre pattes blanches immergées dans l'eau, un corps sombre de la taille d'un cheval : un élan. Une femelle, accompagnée de son faon de l'année, nous regarde glisser sur l'eau d'un air étonné. Vient l'heure de la pause. Faire du feu pour se réchauffer, cuire ses aliments et éloigner les moustiques est un rituel auquel il ne viendrait à l'esprit d'aucun Lapon de déroger. Quelques écorces de bouleau ramassées à même les arbres avec un peu de lichen, des brindilles et quelques branches mortes de pin : réussir à allumer son premier feu en pleine nature tient du rite initiatique et l'on se prend à une joie presque brute à renouer avec ce savoir ancestral ! Reste à s'installer autour du foyer et contempler les flammes qui lèchent les flancs de la bouilloire.

À moins que l'on ne préfère profiter de l'instant pour s'essayer à la pêche. Le petit marais à quelques centaines de mètres offre au débutant un terrain de jeu idéal pour en découdre avec les nombreux brochets. Les plus expérimentés préfèrent tenter la pêche au saumon et savourer leur prise cuite sur les braises. Les mois de juillet et d'août sont également un festival pour les amateurs de baies sauvages. En forêt, les myrtilles et airelles abondent tandis que les framboises mûrissent dans les clairières. Moins connue de nos palais français, la mûre des marais, aux teintes orangées quand elle est prête à être dégustée, est d'une finesse que ne surpasse que la rare et discrète mûre arctique. De véritables bonbons naturels gorgés de saveurs et remplis du plaisir d'être dégustés sitôt cueillis.

Rencontre avec le peuple du renne

Abandonnant notre canoë, c'est avec un compagnon à quatre pattes que nous poursuivons votre immersion dans la nature lapone. En « cani-rando », avec un sublime husky blanc comme neige, nous expérimentons une autre forme de randonnée. Une marche sans effort grâce à la traction de l'animal, qui nous permet de vivre avec intensité le lien avec le meilleur compagnon de l'être humain. 

Lasso traditionnel sami en cuir de renne - ©Henri Bourgeois-Costa

Pour faire le tour de cette vie into the wild, une rencontre avec un éleveur de rennes s'impose. Henrik nous attend dans son kota, la hutte traditionnelle du dernier peuple d'éleveurs nomades d'Europe, les Samis. Au sol, un tapis de branches de bouleau sur lesquelles sont posées des peaux de rennes nous accueille. Au centre, le foyer et quelques braises où chauffe la bouilloire aux flancs noircis de suie. La cérémonie du café est un des rites importants de la tradition d'accueil des Samis.

Les gestes lents et la voix posée, notre hôte nous raconte l'histoire de son peuple. Une histoire intimement liée à celle du renne dont on tirait nourriture, vêtements, outils, bijoux... Et si la modernité et la sédentarisation forcée bouleversèrent à jamais cette vie, la seule évocation des rennes continue de faire briller les yeux d'Henrik.

Nous prenons congé de notre hôte la tête pleine d'images de migration printanière vers les hauts plateaux de toundra encore battus par les vents, d'étés verdoyants où naissent les faons de rennes et auxquels succèdent – cycle infini de la vie – les longs mois glaciaux d'hiver qu'anime le ballet des aurores boréales. Nous avons mérité un peu de repos. Profitant des chaudes journées d'été, nous déplions notre hamac entre deux pins à la résine odorante. Nous savourons en pleine conscience le bonheur de cette expérience de la wilderness en Laponie et il ne faut que quelques instants pour que, bercés par la légère brise qui éloigne les moustiques, nous nous laissions gagner par le sommeil.

Immersion en pleine forêt - ©Henri Bourgeois-Costa

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