[2025 - Année de la mer] L’océan Arctique au cœur des enjeux du XXIe siècle
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Alors que la Conférence des Nations unies sur l’Océan 2025 s'est achevée à Nice le 13 juin dernier, nous vous proposons un zoom sur l’océan Arctique, longtemps considéré comme un désert de glace inaccessible, devenu aujourd’hui l’un des espaces les plus stratégiques de la planète.
La Troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC3), qui s'est déroulée à Nice du 9 au 13 juin 2025, marque un tournant crucial pour la protection marine mondiale. Plus de 10 000 participants ont convergé pour finaliser des accords ambitieux, mobiliser des financements pour une économie bleue durable et renforcer la diffusion des connaissances scientifiques. L'adoption du Plan d’Action de Nice inspire une action concrète pour la protection des écosystèmes marins et la lutte contre la pollution plastique. Un tournant majeur en pleine Année de la mer 2025.
La France a annoncé la création de la plus grande aire marine protégée du monde en Polynésie française, couvrant près de 5 millions de km², avec des zones sous protection stricte. D'ici 2026, d'autres archipels bénéficieront de cette initiative. À l'échelle mondiale, les engagements pris augmentent la surface des aires marines protégées de plus de 12 %.
Parmi les autres avancées, on compte l'accélération de la ratification du traité sur la haute mer par une cinquantaine de pays, préparant sa probable entrée en vigueur en 2026 et la création de la Coalition de villes et régions côtières vise à renforcer la résilience face à l'élévation du niveau de la mer.
En première ligne de ces décisions : l'océan Arctique. Imaginez une étendue d'eau infinie recouverte d'une épaisse couche de glace, où le soleil disparaît pendant des mois entiers avant de briller sans interruption durant tout l'été. Bienvenue dans l'océan Arctique, le plus petit des cinq océans de notre planète, mais certainement l'un des plus fascinants. Avec ses 14 millions de kilomètres carrés incluant les mers bordières, soit environ 5 millions de kilomètres carrés pour l'océan lui-même, cet espace polaire unique influence profondément le climat mondial et attise désormais les convoitises internationales.
Avec ses particularités remarquables, l'océan Arctique est un milieu d'étude exceptionnel. Sa banquise, véritable cœur battant de la région, suit un cycle saisonnier spectaculaire : elle s'étend au maximum en hiver pour se rétracter considérablement en été. Cette glace flottante, bien que sans cesse en mouvement, maintient les eaux sous-jacentes à des températures proches du point de congélation, généralement entre -1,8 °C et 0 °C.
Le relief sous-marin révèle une géographie complexe et surprenante. La dorsale de Lomonossov, chaîne de montagnes sous-marines, traverse l'océan sur plus de 1800 kilomètres, tandis que le bassin de Nansen plonge à plus de 4000 mètres de profondeur.
Le plateau continental sibérien, quant à lui, s'étend sur près de 2 millions de kilomètres carrés, constituant l'une des plus vastes plateformes continentales immergées au monde.
Les conditions climatiques demeurent particulièrement rigoureuses. Les températures hivernales chutent régulièrement en dessous de -40 °C, accompagnées du phénomène de nuit polaire où le soleil reste invisible pendant plusieurs semaines. À l'inverse, l'été arctique offre le spectacle du soleil de minuit, avec une lumière continue qui favorise une explosion de vie marine et terrestre.
Un laboratoire du changement climatique
C'est aussi en Arctique que le réchauffement climatique est le plus visible. La région se réchauffe à un rythme quatre fois supérieur à la moyenne mondiale, un phénomène scientifiquement appelé « amplification arctique ». Cette accélération s'explique par un mécanisme de rétroaction positive : moins de glace signifie moins de surface réfléchissante, donc plus d'absorption de chaleur par l'océan sombre, ce qui accélère encore la fonte.
Les conséquences sont dramatiques pour la biodiversité locale. L'ours polaire, emblème de la région, voit son habitat se réduire inexorablement. Les populations de phoques, principale source de nourriture de l'ours, subissent aussi les effets de la disparition de la glace stable nécessaire à leur reproduction. De la même façon, de nouvelles espèces marines remontent vers le nord, modifiant profondément l'équilibre écologique établi depuis des millénaires.
L'eldorado des ressources naturelles
Autre facette de cette partie du globe : selon l'Agence Internationale de l'Énergie, l'Arctique recèle environ 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % de celles de gaz naturel, soit l'équivalent de 90 milliards de barils de pétrole et 47 000 milliards de mètres cubes de gaz. Ces chiffres astronomiques expliquent en grande partie l'intérêt croissant des puissances mondiales pour la région.
Au-delà des hydrocarbures, l'Arctique regorge de métaux stratégiques essentiels à la transition énergétique. Le Groenland possède notamment d'importantes réserves de terres rares, ces éléments indispensables à la fabrication des éoliennes, panneaux solaires et batteries électriques.
Le nickel, le cobalt et l'uranium complètent ce catalogue de richesses minérales, transformant l'Arctique en véritable coffre-fort géologique.
Les ressources halieutiques représentent déjà 15 % des captures mondiales de poissons et fruits de mer. Le réchauffement climatique modifie la répartition des espèces : certains poissons migrent vers le nord, ouvrant de nouvelles opportunités de pêche, mais fragilisant également les écosystèmes traditionnels.
De nouvelles routes commerciales révolutionnaires
La fonte progressive de la banquise ouvre des perspectives commerciales inédites. Le passage du Nord-Est, longeant les côtes russes, et le passage du Nord-Ouest, traversant l'archipel arctique canadien, réduisent de 40 % la distance entre l'Europe et l'Asie par rapport aux routes traditionnelles via le canal de Suez ou celui de Panama.
Ces nouveaux itinéraires représentent des économies considérables en temps, carburant et coûts de transport. Un porte-conteneurs reliant Rotterdam à Shanghai économise environ 10 jours de navigation et réduit ses émissions de CO2 de près de 25 %. La route transarctique centrale, traversant directement le pôle Nord, pourrait devenir viable d'ici 2050, révolutionnant encore davantage le commerce maritime mondial.
Un échiquier géopolitique complexe
Cinq pays riverains se partagent officiellement l'Arctique : la Russie, le Canada, les États-Unis, la Norvège et le Danemark via le Groenland. Chacun revendique des extensions de son plateau continental, créant des zones de superposition et de tension diplomatique. La Russie adopte une stratégie particulièrement agressive, ayant rouvert plus de 50 bases militaires soviétiques et développé une flotte de brise-glaces nucléaires sans équivalent mondial. Mais l'Arctique attire aussi des puissances non riveraines. La Chine se proclame « puissance quasi-arctique » et investit massivement dans des projets d'infrastructure, notamment en Islande et au Groenland.
L'Union européenne, le Japon et l'Inde développent leurs propres stratégies arctiques, transformant la région en un espace de compétition globale.
Cette militarisation croissante inquiète la communauté internationale. Les États-Unis modernisent leurs capacités de défense en Alaska, le Canada renforce sa souveraineté dans l'archipel arctique, et les pays nordiques coordonnent leurs politiques de sécurité. Le risque d'escalade militaire dans une région jusqu'alors pacifique préoccupe les observateurs géopolitiques.
L'océan Arctique incarne parfaitement les paradoxes de notre époque : laboratoire du changement climatique et réservoir de ressources fossiles, espace de coopération scientifique et théâtre de tensions géopolitiques croissantes. Cette région polaire, longtemps isolée du monde, se trouve désormais au centre des enjeux planétaires du XXIe siècle.
L'avenir de l'Arctique dépendra de notre capacité collective à concilier exploitation raisonnée des ressources, préservation d'un écosystème unique et maintien de la paix dans une région stratégique. Car au-delà des enjeux économiques et géopolitiques, l'Arctique reste un régulateur climatique essentiel dont dépend l'équilibre de notre planète. Sa préservation constitue un défi majeur pour les générations actuelles et futures, rappelant que dans ce Grand Nord glacé se joue une partie de notre destin commun.
