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Interview des auteurs du film Le voyage d’Inuk

Jean-Luc Albouy
Interview des auteurs du film Le voyage d’Inuk

Nous interrogeons aujourd'hui Mike Magidson et Jean-Michel Huctin, à l'origine du film Le voyage d'Inuk.

Pôles : Comment est né le film « Le voyage d'Inuk » ?

Jean-Michel Huctin : Le film est né d'une expérience exceptionnelle à laquelle j'ai participé au Groenland, en étant souvent le seul occidental, durant de nombreuses années : de longues expéditions en traîneau sur la banquise, où des chasseurs emmènent avec eux des jeunes Inuit et leurs éducateurs.

Il s'agit d'aider ces jeunes à surmonter les traumatismes de leur enfance maltraitée en leur faisant redécouvrir la culture traditionnelle de leur pays. Lors de mes séjours dans cette communauté inuit d'Uummannaq, je travaille dans le foyer d'enfants qui possède cette démarche éducative depuis 17 ans. C'est dans ce foyer que nous avons tourné et c'est grâce à lui que le film a été possible : grâce à l'amitié depuis des années et la collaboration totale de ses éducateurs. Grâce au talent et la ténacité à tout épreuve de l'équipe technique aussi.

Pôles : Comment avez-vous écrit le scénario du film ?

Mike Magidson : Au tout début, Jean-Michel et moi avions envie d'aller plus loin que les deux documentaires télé-tournés ensemble : nous voulions garder leur authenticité mais en y ajoutant l'émotion de la fiction. Cette fiction devait permettre de raconter toute l'histoire vraie de ces enfants blessés : leur voyage du béton à la banquise, depuis le Sud moderne du Groenland où ils vivent, jusqu'au Grand Nord de leur pays où ils sont envoyés par les services sociaux pour tenter de se reconstruire au contact de chasseurs inuit. On a associé la connaissance de Jean-Michel du Groenland, de ces enfants et ces chasseurs en particulier, avec mon expérience de réalisateur de film. Le plus important pour nous était d'écrire une histoire qui respecte la réalité d'aujourd'hui et dont les Inuit pourraient être fiers.

Pôles : Quelle est précisément l'histoire du film ?

Jean-Michel Huctin : Le film raconte l'histoire d'un jeune Inuit de la capitale du Groenland, « Inuk », que ses parents alcooliques ont abandonné. Envoyé dans un foyer d'enfants du pays, à Uummannaq à 600 km au nord du Cercle polaire, il y rencontre un grand chasseur, « Ikuma ». Ils vont partir ensemble dans un grand voyage en traîneau à chiens sur la banquise. Durant ce voyage, ils devront affronter tous les dangers de cette glace fragile aujourd'hui à cause du réchauffement mais surtout leurs propres blessures intérieures...

Mike Magidson : C'est le premier film, à ma connaissance, sur le Groenland moderne qui soit entièrement en langue inuit. C'est le premier film où l'on voit de vrais chasseurs sur la banquise avec des peaux de phoques et des peaux d'ours tout en montrant qu'ils vivent bien à notre époque de téléphone portable et de télévision satellite. En même temps, cette société inuit moderne est confrontée à de graves problèmes comme l'alcoolisme, la maltraitance des enfants, etc. Et puis, il y a le réchauffement climatique qui fait fondre à la fois leur banquise et leur culture. C'est cette réalité moderne que nous voulions exprimer dans le film.

Pôles : Où en est le film aujourd'hui ? Proche de la sortie en salles ?

Jean-Michel Huctin : C'est la bonne nouvelle : après deux années de travail acharné, le film est enfin prêt pour le grand écran et la première avant-première française sera offerte au public du festival des « Nuits polaires ». Les premiers retours vont bien au delà de nos espérances. Deux prix à Woodstock, New York, l'un des festivals les plus reconnus du cinéma indépendant américain, des super critiques dans la presse, le patronage de l'UNESCO qui parle d'un grand film de défense de la culture inuit, et surtout l'intérêt de quelques distributeurs indépendants les plus importants des Etats-Unis. Tout cela nous laisse encore rêver d'un grand succès pour ce film réalisé avec si peu de moyens mais beaucoup de talent et d'enthousiasme.

Pôles : Le film existe, alors pourquoi lancer une opération de soutien ?

Mike Magidson : Quand Jean-Michel et moi-même avions commencé à rêver de ce film, nous nous étions promis de ne jamais nous éloigner de l'histoire authentique de nos amis groenlandais. Il est toujours tentant en effet de tordre un récit pour rassurer certaines grandes sociétés à vocation commerciale. Mais nous ne voulions pas « trahir » l'histoire d'un peuple qui a déjà tant souffert de sa rencontre brutale avec l'Occident. Alors, nous avons décidé de faire avec les moyens du bord et surtout avec la grande générosité des amis et de ceux qui croient dans le film. Et nous avons toujours besoin d'aide...

Jean-Michel Huctin : Aujourd'hui, nous rentrons dans la phase la plus critique du film, la promotion et la distribution. Face à de grosses machines du cinéma, c'est toujours un énorme défi de sortir un petit film venant « d'ailleurs ». Mais l'histoire du cinéma nous donne de l'espoir. Le grand succès de films comme « Atanarjuat », « Le Chameau qui Pleure » ou encore « 10 canoës... » prouve qu'il y a un public pour des histoires comme « Inuk ». Mais pour financer la fabrication des pellicules de projection cinéma à partir de l'original numérique et surtout faire face aux besoins de promotion qui sont déterminants pour l'avenir du film, nous avons lancé une campagne de soutien sur internet...

Pôles : Il s'agit donc pour les gens qui veulent soutenir de verser la somme de leur choix sur le compte sécurisé du film ?

Mike Magidson : Oui, c'est très facile... En quelques clics, vous devenez partenaire du film. De nombreux films de cinéma aujourd'hui, complètement indépendants des grandes sociétés de production, trouvent leur financement par ce type de souscriptions publiques. Même un petit soutien est très utile, cela ferait boule de neige s'il y en avait des milliers... J'espère que les gens soutiendront le film pour permettre aux Inuit de raconter eux-mêmes leur histoire, pas celle du passé lointain, celle d'aujourd'hui. C'est pourquoi j'espère qu'ils ne vont pas hésiter à faire de ce film aussi leur film !

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